À ces femmes qui ont gagné le droit de courir
Aujourd’hui, c’est le 08 mars. Et le 08 mars, c’est la journée internationale des droits des femmes (et pas la journée de la femme, alors range ton bouquet et sors ton Code Civil). Alors aujourd’hui, rendons hommage à celles qui ont gagné le droit de courir, notre droit de courir.
Quand une femme défie l’histoire à Boston
S’il est une action qui nous parait presque aussi naturelle que manger, boire ou marcher, c’est bien courir. Nous sommes le 08 mars 2024 et si je n’ai pas chaussé mes baskets ce matin, c’est peut-être par manque d’envie, par manque de temps, mais en tout cas par par manque de droit. Car oui, j’ai le droit de courir. Et si aujourd’hui, cela me semble totalement naturel, c’est parce-que des générations se sont battues pour mes droits.
19 avril 1967 – Marathon de Boston. La course à pied s’est démocratisée. Les coureurs ne sont plus considérés comme des aliénés qui s’obstinent à faire des tours dans Central Park à l’abri des regards. Courir, c’est bon pour la santé. Des hommes. C’est pourquoi l’on voit fleurir des courses de plus en plus populaires comme celle qui se déroule ce jour-là. Des shorts, des dossards, des capuches et sous l’une de ces capuches… Des cheveux longs. Sous un pull trop grand, des seins que dissimule tant bien que mal un dossard. C’est bien une femme qui prend le départ. Cette femme, c’est Kathrine Switzer. Inscrite en n’utilisant que ses initiales, elle est la première femme à participer à une course officielle. Mais elle est officiellement un homme.
De cette course, il ressortira un cliché marquant, empreint de violence mais aussi de courage et d’une détermination à toute épreuve. On y voit l’organisateur de la course tentant d’agripper Kathrine Switzer pour l’empêcher de poursuivre la course. Malgré tout, elle bouclera les 42,1K. Bon, elle sera disqualifiée et radiée à vie de la fédération d’athlétisme, mais l’image elle, marquera les esprits.
Laissez-nous courir !
Cet exemple marquant n’est pas le seul. De nombreuses femmes ont lutté au fil des années pour obtenir le droit de courir plus de 800m, puis plus de 1500m. Au-delà disait-on, nous prenions le risque de voir notre utérus se décrocher, notre pilosité se développer, particulièrement sur la poitrine… On vivait dangereusement en courant après le bus !
À écouter >> Cécile Coulon - "À l'instant où j'ai fini mon marathon, ma vie a changé."
Après de nombreuses péripéties et des années de lutte, le marathon féminin fait son apparition aux JO en 1984. C’est Joan Benoit qui remportera cette course historique. Pourtant, tout n’est pas gagné ! Si les femmes ont maintenant le droit de courir, elles doivent encore prouver leur légitimité. Elles doivent démontrer que chaque femme, chaque fille, a gagné le droit de s’aligner sur une ligne de départ. Elle elles réussiront, avec brio.
Nous avons arraché le droit de nous élancer au coup de pistolet à vos côtés messieurs. Nos mères, nos grands-mères ont lutté pour nous voir gravir les marches des podiums. Lorsqu’une femme tient son trophée à bout de bras, c’est l’esprit et la volonté de toute ces femmes qu’elle brandit devant vous. Alors laissez-nous courir!
L’équipement running au féminin
Nous sommes le 08 mars 2022. À 19h, j’ai rendez-vous sur le parking du parc à quelques centaines de mètres de chez moi. Nous allons courir. Au moment où j’enfile mes vêtements, l’image de Kathrine Switzer me revient, avec son gros pull bien trop large. Moi, quand j’ouvre mon armoire, elle déborde de t-shirts, débardeurs, K-ways spécialement conçus pour les femmes. J’ai le choix entre legging, corsaire, short moulant, large, jupe… Bon, j’avoue qu’il m’a fallu une certaine détermination pour sortir des sentiers battus et de la fameuse palette de rose. Mais j’ai le choix.
Je repense à Jacqueline Hansen qui en 1975 court le Marathon d’Honolulu avec un haut de bikini. Cela peut prêter à sourire, cette femme en bikini rose qui court en souriant. Mais aujourd’hui, alors que le marché des brassières spécialement conçues pour la course à pied se développe, on réalise que ce qu’a fait cette femme relève de l’exploit. Personnellement, je m’harnache avec un de mes nombreux modèles de brassières.
Arrive le moment où je réfléchis : à quelle période du mois sommes-nous ? Vais-je devoir composer avec les contraintes que mon propre corps m’impose ? Ai-je mes règles ? Et là, je réalise que quelle que soit la réponse, j’irai courir. Vous rendez-vous compte ? Cela peut sembler totalement anodin mais il suffit d’ouvrir les yeux sur le monde pour constater le privilège que cela constitue. Tampons, coupes menstruelles, culottes de règles, serviettes hygiéniques… Tous ces moyens mis à la disposition des femmes me permettront aujourd’hui de courir, quelle que soit la période du mois. Je précise par ailleurs que nous n’avons pas trouvé le moyen de maintenir nos utérus en place mais que, miraculeusement, ils s’accrochent bien les bougres!
J’en arrive à chausser mes baskets. Elles ne sont pas roses. Elles sont conçues pour mes petits petons fins, ce sont des chaussures de running pour femme. J’ai trouvé ma pointure sans difficulté, elles sont légères, elles sont géniales.
Alors oui, la marge de progrès est encore immense. Les équipementiers ont encore un gros travail, notamment sur l’élargissement des gammes de vêtements, la diversification des modèles ou encore l’accessibilité des accessoires tels que les brassières de qualité qui sont encore assez onéreuses. Mais grâce à toutes ces femmes qui m’ont précédée et qui se sont battues, aujourd’hui, je suis prête à aller courir.
Je veux courir, je veux qu’elles courent.
Nous sommes actuellement toujours dans un tournant historique quant aux droits des femmes. L’ère post #metoo a mis en lumière bon nombre d’abus qui n’épargnent pas le monde du sport. De nombreuses femmes sont victimes de harcèlement sexuel, du manque d’écoute, de connaissance et de compréhension des spécificités inhérentes à leur condition. Aménorrhées, anorexie, bigorexie, pression de l’image médiatique… Les chantiers sont encore nombreux, et nous ne les oublions pas. Nous serons là, nous ferons face.
En ce jour cependant, il me semblait important de rappeler qu’à l’heure où je m’apprête à m’élancer pour mon footing, des millions de femmes sont privées de ce droit dans le monde. Ces femmes sont nos sœurs, nos mères, nos filles. Elles se battent pour pratiquer du sport, elles luttent pour faire entendre leurs voix, elles hurlent à l’injustice et risquent leurs vies baskets aux pieds dans les rues pour courir, simplement courir.
Nous célébrons aujourd’hui la Journée Internationale des Droits de la Femme. Et ce soir je vais courir avec dans la tête toutes ces femmes qui n’ont pas ma chance, et dans le cœur celles qui se sont battues pour que je puisse courir comme je respire: librement.
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