Haters : Pourquoi ils haïssent certains coureurs et en adulent d’autres ?

Dans le trail comme sur route, certains athlètes font l’unanimité, tandis que d’autres suscitent critiques et controverses. Pour beaucoup de haters, si un coureur est critiqué, c’est de sa faute. Selon eux, les figures historiques, discrètes et humbles, inspirent le respect, tandis que d’autres, plus médiatisés et actifs sur les réseaux, manqueraient d’authenticité.

Dans le trail, on parle souvent de "l’esprit trail" comme un gage de légitimité. Sur route, certains défendent une vision plus "puriste" de la course. Mais est-ce vraiment une question de valeurs ? Ou simplement le signe d’un sport en pleine mutation, où tradition et modernité s’affrontent ?

Réponses et décryptage dans cet article.

Le trail en mutation : entre tradition et innovation

C’est un fait, le trail est un sport en pleine mutation. Depuis ses débuts, il a toujours été marqué par des valeurs fortes : humilité, respect de la nature, entraide. Ces principes, profondément ancrés dans l’ADN de la discipline, ont contribué à façonner son identité et à forger une communauté soudée. Pour beaucoup, c’est cette culture qui différencie le trail des autres sports d’endurance.

Dans cet esprit, certains estiment que les athlètes qui suscitent des critiques le doivent à un comportement qui s’éloigne de ces valeurs fondamentales. Ils opposent souvent les figures "historiques" du trail, réputées pour leur simplicité et leur discrétion, à une nouvelle génération plus médiatisée et parfois perçue comme moins authentique.

Dans le running sur route, cette opposition existe aussi. Les puristes estiment qu’un vrai coureur doit se concentrer sur l’entraînement et la performance, sans chercher à se mettre en avant. Un coureur qui célèbre trop, qui partage son quotidien ou qui parle du plaisir de courir est rapidement jugé comme superficiel. En France, le vrai coureur doit être discret, besogneux et laisser parler ses performances.

Mais est-ce vraiment si simple ?

Dawa Sherpa UTMB 2003

Une discipline en pleine mutation

Le trail d’aujourd’hui n’a plus grand-chose à voir avec celui d’il y a vingt ans. D’une pratique confidentielle, réservée aux amoureux des montagnes, il est devenu un sport global, avec des courses retransmises en direct, des sponsors omniprésents et une professionnalisation accrue. Certains élites vivent désormais du trail, s’entraînent 25h à 30hh par semaine, et s’appuient sur la technologie pour optimiser chaque détail de leur performance.

L’arrivée de ces nouvelles approches – qu’il s’agisse de matériel plus performant, de méthodes d’entraînement plus scientifiques ou de l’explosion des réseaux sociaux – a bouleversé les codes établis. Certains puristes y voient une perte d’authenticité, un éloignement des valeurs originelles du trail. D’autres considèrent que c’est simplement l’évolution naturelle d’un sport en pleine croissance.

Une démocratisation qui dérange

Ce phénomène ne touche pas uniquement le trail. Le running sur route a connu une explosion sans précédent, devenant l’un des sports les plus pratiqués en France avec 14 millions de coureurs.

Ce qui était autrefois une pratique réservée à quelques passionnés de l’endurance est devenu un sport accessible à tous, avec des marathons et des courses populaires où l’objectif n’est plus forcément la vitesse, mais aussi le bien-être, le dépassement de soi ou simplement le plaisir de participer.

Mais cette démocratisation ne plaît pas à tout le monde. Certains estiment qu’elle dévalorise l’effort et la performance, et cherchent à décrédibiliser ceux qui ne correspondent pas à leur vision de la course.

Parmi les critiques les plus courantes :
“Un marathon en plus de 4 heures, ce n’est pas un marathon.”
“Aujourd’hui, n’importe qui court, ça n’a plus de valeur.”
Il court pour frimer à la machine à café ou sur instagram”

Dans l’esprit de certains, plus il y a de coureurs, moins cela a de valeur. Comme si l’effort des élites était amoindri par le fait que des amateurs puissent eux aussi franchir la ligne d’arrivée. Pourtant, l’histoire du sport montre que l’essor d’une discipline ne fait jamais disparaître l’excellence. Au contraire, plus il y a de pratiquants, plus le niveau moyen augmente, et plus les élites doivent repousser leurs limites.

Trail ou running sur route, le sport évolue, s’ouvre, se démocratise. Mais ceux qui ont connu une époque plus confidentielle peuvent ressentir une perte de statut, comme si leur engagement était moins “méritant” dans une discipline devenue plus accessible.

Ian Thompson au marathon du Commonwealth de 1974 (Mark Shearman)

Les cycles de l’innovation

L’histoire du sport montre que chaque discipline évolue par cycles. Au début, l’innovation dérange. Puis, avec le temps, elle devient la norme. Et enfin, elle est elle-même remplacée par une nouvelle vague de changements.

Prenons l’exemple de Kilian Jornet. En 2008, il débarque sur l’UTMB avec une approche radicalement différente : jeune, ultra rapide, adepte du minimalisme, il bouleverse les codes d’une discipline alors dominée par des profils plus sénior et montagnards. Sa victoire dérange tellement que certains tentent de le disqualifier. Pourtant, son approche a fini par s’imposer, inspirant une génération entière. Aujourd’hui, il est une référence incontestable et incontesté.

Jim Walmsley a lui aussi été critiqué pour son approche des ultras, jugée trop agressive, “comme s'il courait un 10 km”. Avec son style axé sur la vitesse et la prise de risque, il a longtemps été perçu comme un électron libre, trop ambitieux pour l’Ultra-Trail. Pourtant, les dernières éditions de l’UTMB ont prouvé que sa vision était loin d’être stupide : une nouvelle génération de coureurs, misent aujourd’hui tout autant sur la gestion de l’effort en montagne que sur la haute intensité.

Même Eliud Kipchoge, icône incontestée du marathon, n’a pas échappé aux critiques lorsqu’il s’est lancé dans le projet Breaking2 en 2016. À l’époque, certains voyaient cette tentative comme une course artificielle, éloignée des valeurs du marathon. Aujourd’hui, personne ne remet en question son impact sur l’évolution du running.

Ces exemples le prouvent, l’innovation ne fait jamais l’unanimité au départ. D’abord critiquée, elle finit par s’imposer… avant de devenir la nouvelle norme. Comme le dit la célèbre citation, “D'abord ils vous ignorent, ensuite ils se moque de vous, puis ils vous combattent et enfin, vous gagnez.” Une histoire qui se répète sans cesse dans la vie et le trail n’échappe pas à la règle !

Jim Walmsley

Et "l’esprit trail” et le purisme dans tout ça ?

Mais au-delà de ces résistances naturelles au changement, un autre phénomène pose question : l’instrumentalisation de “l’esprit trail" pour exclure ceux qui ne correspondent pas à un idéal souvent fantasmé. Ce qui, à la base, était une idée noble et bienveillante – promouvoir des valeurs de solidarité, de respect et d’humilité – est parfois détourné pour instaurer une forme de conservatisme. Certains haters se servent de cet argument pour discréditer ou marginaliser des coureurs qui ne rentrent pas dans leurs standards, au lieu de voir le trail comme une discipline inclusive et en constante évolution. Au final, “l’esprit trail" devient un outil d’exclusion plutôt qu’un moteur d’inclusion.

Dans le running sur route, le même phénomène existe, particulièrement en France. Ici, la culture veut que l’athlète soit discret, besogneux, qu’il souffre en silence et laisse parler les performances. Montrer son plaisir à courir, célébrer une victoire, être actif sur les réseaux sociaux ou même simplement communiquer sur son entraînement est parfois mal vu. Contrairement aux États-Unis ou à d’autres pays où les coureurs assument davantage leur image et leur succès, en France, un athlète trop médiatisé est souvent jugé comme moins sérieux, moins authentique. Un coureur doit “se taire et courir”.

Un sport qui doit évoluer pour ne pas s’éteindre ?

Un sport qui ne change pas est un sport qui se meurt. Imaginez un instant que le trail ait refusé toute évolution. Pas de nouveaux formats de course, pas d’améliorations techniques, pas de reconnaissance médiatique. Il serait resté un sport de niche, pratiqué par une poignée de sportifs, loin des projecteurs.

Regardez ce qui est arrivé à certains sports figés dans leurs traditions : ils vieillissent avec leurs pratiquants et peinent à attirer de nouvelles générations. Le trail, au contraire, est en perpétuelle transformation. Et c’est justement parce qu’il suscite des débats, des résistances et des critiques qu’il prouve qu’il est vivant.

Kilian Jornet et François D'Haene à l’UTMB

L’équilibre entre passion et business

Toutefois, si l’évolution du trail est essentielle, encore faut-il qu’elle reste guidée par la passion des athlètes et non par l’appât du gain. Le danger ne vient pas des coureurs qui innovent, mais plutôt de l’écosystème qui tente de capitaliser sur leur image. La médiatisation, les sponsors et l’argent qui gravitent autour du trail ne sont pas un problème en soi, tant que l’athlète et l’essence du sport restent au centre des préoccupations.

L’histoire du sport montre que lorsqu’un équilibre se rompt – quand le marketing prend le pas sur la performance et que les logiques commerciales écrasent l’esprit originel d’une discipline – la passion peut s’étioler et le public se détourner. Tant que le trail reste une aventure humaine, où la quête de dépassement prime sur les stratégies commerciales, il continuera à grandir sans se dénaturer.

Finalement, les controverses autour du trail ne sont pas un problème. Elles sont le signe qu’il évolue. Ceux qui innovent se heurtent toujours à des résistances avant d’être acceptés. Mais une chose est sûre : tant que le trail continue à avancer, il restera un sport passionnant, en mouvement et en perpétuelle réinvention.

l’enquête CAMPUS qui décrypte l’évolution du trail

Le trail est en train de changer et pas seulement sur le plan médiatique. Mais quelles sont réellement les tendances qui transforment ce sport ? Quels sont les nouveaux profils de traileurs ? Comment s’entraînent-ils aujourd’hui, et que recherchent-ils vraiment ?

Pour répondre à ces questions, nous avons analysé la grande enquête trail de Campus Coach, menée auprès de 13 000 traileurs. Avec Mathieu Blanchard, on décrypte comment cette discipline évolue :

  • Pourquoi de plus en plus de traileurs sont des athlètes hybrides ?

  • Comment optimiser son entraînement malgré un emploi du temps chargé ?

  • Peut-on progresser sans avoir accès aux montagnes ?

  • Pourquoi seulement 43 % des traileurs suivent un plan d’entraînement ?

  • L’ultra-trail fait rêver, mais pourquoi la majorité préfère-t-elle les formats plus courts ?

Si vous voulez comprendre où va le trail et comment il se réinvente, écoutez le dernier épisode du podcast Dans la Tête d’un Coureur disponible sur toutes les plateformes de streaming.

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Mathieu Blanchard se confie sur la course la plus extrême de sa vie @Yukon