Emilien Jacquelin: Zoom sur le Champion du Monde de Biathlon
A l’occasion de la deuxième édition du Martin Fourcade Nordic Festival à Annecy, nous avons eu l’occasion de rencontrer Emilien Jacquelin, Champion du Monde de Biathlon. Zoom sur le biathlète tout juste blessé à quelques mois des Jeux Olympiques de Pékin, qui s’est livré avec plaisir.
Emilien Jacquelin © Thibaut/NordicFocus.
La dernière saison a été haute en couleur, avec des hauts et des bas. La trêve estivale est passée, tu as donc plus de recul et tu as certainement dû analyser avec ton staff les difficultés rencontrées. Est-ce qu’aujourd’hui tu as pu identifier quelles ont été tes forces et tes faiblesses ?
C’est toujours plus facile quand on fait du sport de haut niveau d’identifier ses points faibles plutôt que ses points forts. Pour ma part je les ai très vite cernés, après le titre de Champion du Monde, le petit Globe de la Poursuite et l’arrêt de Martin Fourcade, j’avais une pression nouvelle sur mes épaules. Tant que Martin était sur la piste, je pouvais me cacher derrière lui et continuer de courir à mon habitude et du jour au lendemain j’ai perdu à la fois mon ami mais aussi mon compagnon d’entraînement, et ça a été très dur pour moi de retrouver la motivation et de me remettre en route après ça.
J’ai commencé la préparation dans cet état d’esprit et j’ai vraiment eu des hauts et des bas, en me demandant quel était le sens réel de ma pratique du biathlon à haut niveau.
Donc le constat avec du recul, c’est qu’il y a eu une mauvaise gestion de la pression et de mon approche de la saison alors que techniquement et physiquement il y a tout pour réussir et être régulier. Parce qu’aujourd’hui l’enjeu pour moi, c’est la régularité sur un podium ou dans un top 5.
Pour moi le déclic ça a été juste après les Championnats du Monde, sur la Mass Start où je rate 5 cibles en étant en tête de la course. Ça a été un déclic parce que je me suis rendu compte que si je voulais continuer à progresser et à évoluer au plus haut niveau pendant 6 ou 7 ans, je ne dois plus me contenter de jouer les courses d’un jour.
Ce constat est arrivé un peu avant la fin de la saison donc j’ai pu faire évoluer ma manière de tirer et d’aborder les choses dès les dernières courses en mars. Je n’étais plus dans la recherche de performance mais déjà dans la préparation de la saison à venir.
A écouter >> Entrainement polarisé : la vraie bonne formule ?
Tu as dit que tu t’étais interrogé sur tes motivations intrinsèques et extrinsèques, est-ce que finalement tu as pu répondre à ces interrogations et retrouver du sens dans ta manière de pratiquer le biathlon ?
Oui, même si ce n’est vraiment pas un exercice facile ! Je le sens au fond de moi, j’ai toujours autant de motivation, en ce moment je n’ai plus qu’un bras et je m’entraine encore comme un fou à monter le col de l’Iseran comme ça, donc c’est bien qu’intérieurement il y a quelque chose qui me pousse à le faire.
Je me suis souvent considéré comme un comédien qui aime jouer devant un public, et je fais du haut-niveau pour éprouver ce plaisir-là. Et sur ce point, l’année dernière a vraiment été particulièrement difficile pour moi. Pendant les échauffements j’écoute toujours de la musique, et à dix minutes du départ quand j’enlevais mes écouteurs, il n’y avait qu’un énorme silence. Je me suis vraiment rendu compte que même si sur certaines courses j’avais les capacités d’attaquer, je n’y allais pas parce qu’il me manquait l’énergie du public, il n’y avait pas ce jeu-là.
Malgré les quelques difficultés, tu as décroché le titre de Champion du Monde de la Poursuite pour la 2ème année consécutive, c’était un objectif assumé que tu avais souvent exprimé, est-ce que tu en avais d’autres en tête à ce moment-là qui étaient peut-être un peu plus « inavouables » ?
Je pense que oui. Dès l’année dernière, je commençais à me projeter vers un classement général, j’adorerais remporter le général et je pense que c’est légitime avec un titre de Champion du Monde et un petit Globe. Mais à l’époque j’avais du mal à me l’avouer.
Je me rappelle d’un entrainement de course à pieds avec Martin (Fourcade) pendant lequel je lui ai fait part de mes doutes et il m’a tout de suite rassuré sur ce point, même si c’était encore un peu tôt pour moi de l’envisager de manière réaliste. J’ai toujours fonctionné en déclic, je suis très instinctif. Le deuxième titre de Champion du Monde a plutôt eu un goût de soulagement que de joie pure. Je me projetais déjà vers l’étape suivante. Et ça aussi ça m’a déstabilisé, de ne pas éprouver une vraie joie. Mais je pense que je suis un peu trop cérébral ! (rires).
C’est aussi ça qui nous intéresse, cet aspect plus cérébral comme tu le qualifies. Sur cette saison on a pu voir ta capacité de remobilisation incroyable lors de courses difficiles comme sur le relai à Nove Mesto avec une craquante sur les tirs couchés et des tirs debouts parfaits ! Emilien Jacquelin est vraiment capable de passer d’une émotion à une autre en une fraction de seconde, qu’est-ce que tu mets en place pour y arriver ? Est-ce que ce sont des schémas bien spécifiques que tu travailles à l’entrainement par exemple ?
Il y a deux types de situation. Quand tout va bien c’est l’instinct qui va parler, parce que je suis comme ça dans ma manière de courir et que c’est un schéma intuitif à mettre en place chez moi.
Et puis il y a des cas de figures comme sur le relai de Nove Mesto lors duquel j’avais en plus de l’appréhension par rapport à mes craquantes précédentes à Pokljuka et qui m’ont marquées jusqu’à la fin de saison. Et là ça a été très dur de faire le vide dans ma tête en arrivant sur le pas de tir. J’ai essayé de rester concentré sur des points techniques, sur des acquis, pour occuper mon cerveau qui gamberge trop à ce moment-là. On appelle ça les « anges gardiens » et on travaille dessus tout l’été.
Quand j’ai des pensées parasites, je commence par accepter ce que je ressens et à me dire que je vais faire avec ce stress qui monte et qui est présent. Et parvenir à faire ça c’est déjà une réussite pour moi, parce que ça peut permettre de retourner une situation en respirant bien, en arrivant à faire redescendre la tension et à lâcher un tir détendu et maitrisé. Il faut accepter de ne pas être un robot, d’avoir des émotions et apprendre à faire avec.
Jusqu’alors j’ai toujours travaillé tout seul sur cette partie de préparation mentale et de développement personnel en lisant beaucoup, en expérimentant par moi-même, mais je vais désormais être accompagné sur ce point. Au vu de mes objectifs qui évoluent et qui sont pour moi moins naturels par rapport aux courses d’un jour dont j’assume très bien la pression, j’ai besoin d’un accompagnement pour jouer un classement général. Je dois évoluer et travailler sur ma régularité et je ne pense pas avoir toutes les armes sur le plan mental pour savoir le faire aujourd’hui.
Pour beaucoup d’athlètes, la blessure est un passage obligé. On remarque souvent deux types de positionnement face à ça, on peut se dire que rien n’arrive jamais par hasard et que l’arrêt forcé peut aussi être salvateur, ou au contraire estimer que c’est uniquement une injustice sans aucune autre forme de symbolique et qu’il faut juste être patient pendant la convalescence. Dans quel état d’esprit tu es par rapport à ça ?
Je me retrouve un peu dans les deux, je crois que c’est le souci chez moi qui empêche une certaine régularité (rires). Je suis capable de comprendre les deux discours. Au moment de la chute, la première chose qui m’est venue à l’esprit c’est l’acceptation. Je me suis dit que les Jeux Olympiques ce n’était plus pour moi et d’une certaine façon j’étais libéré de cette pression.
C’était finalement même moins déstabilisant pour moi que ce que j’ai pu ressentir la saison dernière par exemple. Je me suis dit que rien n’arrivait pas hasard, que j’étais sans doute un peu fatigué après ces années intenses et particulières avec les confinements répétés, etc. Donc au début j’étais très pessimiste et puis petit à petit en ayant des diagnostics précis et plus de visibilité de la part des médecins, j’ai récréé un état d’esprit plus positif et j’ai eu très envie de repartir à l’entraînement.
Ce qui est drôle c’est que le tir me manquait et dès que j’ai pu reprendre il y a quelques jours, au bout de 3 balles j’étais déjà concentré sur le travail. La joie de la reprise a vite été balayée par l’envie de m’améliorer encore et encore.
Maintenant que tu commences à entrevoir le retour à l’entrainement, est-ce que tu te projettes à nouveau dans les Jeux Olympiques de Pékin et comment tu vas adapter ta préparation par rapport à cela?
Ce qui est drôle c’est que je n’ai rien changé finalement. J’essaye toujours d’obtenir plus de régularité, ce qui va presque en contradiction avec l’objectif des JO qui sont finalement des courses d’un jour ! Mais je pense que cette régularité peut me permettre de jouer devant sur les Jeux, mais aussi sur la saison complète.
Si on parle un peu de course à pied, tu as participé aux Adidas 10km de Paris voilà quelques temps et tu as réalisé un chrono de 34’52, alors que les minimas pour les Championnats de France de course sur route sont de 34’15!
Oui j’ai vu ça ! Je vais aller les chercher (rires)!
Quel regard tu portes sur la course à pied ? Est-ce que c’est un sport que tu pratiques beaucoup, que tu apprécies ?
On pratique beaucoup le trail en tant que biathlète parce qu’on vit tous dans les montagnes et que ça s’y prête ! La course à pied sur route je l’ai découverte lors du 10km à Paris, c’était ma première fois. Je me suis acheté une paire de running deux semaines avant, j’ai couru deux fois 1h sur route et je n’en pouvais plus donc ce n’était pas du tout préparé (rires) ! Mais j’ai pris un plaisir fou, j’adore cette gestion de l’effort et aujourd’hui je me sers beaucoup de la course à pied à plat pour faire du seuil. Et ça m’aide beaucoup pour la gestion des émotions aussi, je vais travailler l’allure mais aussi la cadence.
Parfois en ski de fond on a du mal à avoir des retours rapides avec les bras sur un dernier tour pour créer de la vitesse, donc garder cette tonicité c’est très important et je peux le travailler grâce à la course à pied. Je travaille aussi au cardio, au seuil max, quand je fais que de la cadence je cours à 4’10 / 4’20 / 4’30, et quand je fais un seuil plutôt 3’40/3’45.
A lire aussi >> Ces champions à la retraite devenus accros à la course à pied
Et tu ne fais jamais de VMA ? Quelle place ça représente la course à pied dans tes plans d’entraînement ?
Non, pas de VMA, en tout cas pas en course à pied.
On s’entraine environ 90 heures par mois sans compter le tir, et la course à pied ça représente une vingtaine d’heure. Ce mois-ci avec ma blessure j’en ai fait un peu plus de trente heures par exemple. C’est beaucoup de foncier et une séance de seuil ou de cadence par semaine, et des sorties longues également. Pour nous les sorties longues c’est surtout en trail, aux alentours de 3h30. C’est toujours 1h30 minimum, 2h si c’est de l’endurance, et sinon on va au-delà dès qu’on est en sortie longue.
Tu nous parles de trail, est-ce que tu as suivi l’actu UTMB, ou ce qui s’est un passé aux Jeux Olympiques en athlétisme ?
Oui j’ai suivi l’UTMB et de manière générale je suis les gros événements car l’entrainement me prends beaucoup de temps ! Concernant les JO j’avoue avoir coupé après ma blessure mais j’ai bien vu les performances des norvégiens, ils sont partout (rires) !
Emilien Jacquelin, tu cours, tu fais du vélo, je ne sais pas si tu nages mais est-ce que le triathlon c’est quelque chose qui t’attire ?
En fin de carrière oui, c’est certain ! J’aime l’eau, j’aime nager mais je n’ai ni la technique ni la vitesse pour l’instant. L’assemblage des 3 disciplines me plait bien donc rendez-vous d’ici quelques années !
Propos recueillis auprès de Emilien Jacquelin par Lauriane Autissier & Guillaume Centracchio – Annecy, le 4 septembre 2021
Pour tous, le marathon est une aventure, un défi qui nous pousse vers l’objectif final : la ligne d’arrivée. Pour Arnaud Tsamère, c’est un véritable chemin, celui de la reconstruction. Il nous raconte comment le sport et la course à pied l’on sauvé.