Comment j’ai fait le Tour du Monde en courant ? (28 300 km en 697 jours)

Il y a des projets qui naissent dans le silence d’une rêverie, au détour d’un dessin griffonné sur un coin de carnet. Celui de Marie en fait partie. Lorsqu’un jour, en pleine réunion professionnelle à Singapour, elle esquisse distraitement une silhouette courant sur un globe terrestre, elle ne se doute pas encore que ce trait d’humour deviendra le point de départ d’un projet colossal : faire le tour du monde en courant. 

Plongez au cœur d’un récit à la fois intime, physique et profondément humain.

28 300 kilomètres pour aller au bout d’un rêve 

Marie n’est pas athlète de haut niveau. Elle ne cherche pas à battre un record ni à inscrire son nom dans un palmarès. Ce qu’elle poursuit, c’est un rêve ancien, profondément ancré : « Le rêve de faire le tour du monde, en fait, il est ancré dans l’enfance. […] J’avais toujours ce désir de voir ce qu’il y avait de l’autre côté. » Nourrie par les livres, les films, la musique et une enfance tournée vers l’imaginaire de l’ailleurs, elle développe très tôt une fascination pour le mouvement et le nomadisme. 

Une course née d’une prise de conscience 

Ce rêve d’itinérance s’est construit au fil d’une vie passée à l’étranger, entre l’Écosse, l’Allemagne, la Suisse, la Grèce, l’Asie du Sud-Est... Mais c’est à 26 ans, lors d’un footing de décrassage improvisé avec des amis sur une plage grecque, que Marie prend conscience du fossé entre celle qu’elle pensait être et celle qu’elle était devenue. « Au bout de 100 mètres, je suis obligée de m’arrêter. […] Je ne m’étais toujours pas rendu compte que j’avais franchement dévié du chemin initial. » Elle fume alors un paquet de cigarettes par jour, a laissé le sport de côté depuis des années et s’éloigne peu à peu de l’élan vital qui l’animait. 

Ce déclic est brutal mais salvateur. Du jour au lendemain, elle jette ses cigarettes, achète un vélo, et commence à courir chaque jour avec une rigueur quasi militaire. Très vite, la course s’impose comme bien plus qu’un sport : un sésame pour découvrir les villes autrement, un moyen de sentir physiquement le monde sous ses pieds. Le marathon d’Athènes, qu’elle boucle peu après, marque un tournant décisif. « Le marathon venait sublimer non seulement ma vie de nomade, mais le rapport au monde que j’ai toujours recherché. » 

En 2017, ce petit dessin griffonné au bureau agit comme une révélation. En découvrant que six personnes ont déjà couru autour du monde, elle comprend que son rêve peut devenir réalité. Elle se lance dans une préparation de deux ans, structurée autour de trois axes : physique, logistique, et financier. Le bureau se trouve à 21 kilomètres de chez elle ?

Parfait : elle rentre en courant chaque soir. Elle teste sa résistance en enchaînant des “voyages-marathons” — trois, quatre, parfois huit marathons en autant de jours. Tout est pensé, anticipé, planifié. Même sa poussette, équipée d’amortisseurs et de roues de vélo, est choisie pour transporter les 30 kilos de matériel indispensables. 

Crédit : Distance +

698 marathons, une pandémie et un monde à réapprendre 

Le 6 décembre 2019, elle prend le départ depuis le Cap Roca, au Portugal, point le plus occidental de l’Europe continentale. Devant elle, près de 700 marathons à parcourir, quatre continents à traverser, et une promesse à tenir : celle de ne pas se blesser. 

Mais à peine lancée, le monde lui rappelle son imprévisibilité. En mars 2020, à la frontière italienne, la pandémie de Covid-19 la contraint à interrompre sa course. Rapatriée à Paris, elle ne reste pas immobile pour autant. Sa poussette devient un outil de solidarité : « Je me suis mise au service d’une association qui livrait des repas aux SDF. […] Je couvrais 30 kilomètres par jour dans les rues de Paris. [...] J’avais le sentiment de servir à quelque chose. » 

Lorsque les frontières rouvrent, elle reprend la route. L’itinéraire prévu n’est plus viable. L’Europe devient un jeu de pistes entre pays ouverts et fermés. Ce qui devait durer trois mois s’étale sur un an. Une fois Istanbul atteinte, elle obtient une dérogation pour modifier l’ordre de ses continents et part pour les États-Unis. De Seattle à New York, elle court plus de 5 000 kilomètres à travers plaines, lacs, montagnes et forêts. Les rencontres sont rares mais intenses. Dans le Montana, elle se retrouve nez à nez avec un homme armé sur une propriété privée : une erreur de GPS aurait pu mal finir. « Je ne sais pas quelle était ma vitesse de pointe ce jour-là, mais j’ai couru très très vite en sens inverse. » 

Courir le monde, ressentir l’humanité 

À chaque étape, Marie garde en tête une priorité : Prévenir la blessure.

Elle consulte un kiné mensuellement, choisissant volontairement un spécialiste du rugby, pour ne pas être influencée par les discours classiques de la course à pied. Elle apprend à repérer les micro-déséquilibres, à écouter son corps comme un instrument. Chaque jour, elle effectue un "body scan" complet : orteils, voûte plantaire, genoux, hanches, dos… tout y passe. « Un petit détail, quand on fait un marathon par jour, ça devient tout de suite un gros problème. » 

Mais ce tour du monde est aussi un révélateur du monde lui-même. Elle découvre les réalités oubliées des peuples autochtones, la manière dont la dépossession de leurs terres a emporté avec elle religions, coutumes, équilibres ancestraux.

Une leçon d’humanité en mouvement 

Courir autour du monde n’a pas seulement été, pour Marie, une prouesse physique. C’est devenu une manière d’habiter le monde autrement, d’en ressentir la beauté, la complexité, les tensions et la tendresse. « À partir du moment où j’explique que je suis en train de parcourir le monde à pied, en courant, ça fait appel aux mêmes rêves, aux mêmes questions. […] Et ça, c’est universel. » 

En avançant à la seule force de ses jambes, elle a touché du doigt une forme de liberté rare, qui tient autant à l’endurance qu’à la capacité de s’adapter, de s’émerveiller et de ne jamais cesser d’apprendre. Et peut-être, au fond, est-ce cela courir le monde : se mettre en mouvement pour mieux le comprendre, et s’y sentir un peu plus chez soi. 

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